Fracture [BG Cateric]
Publié : 03 avr. 2018, 17:13
Chapitre 1 : La Cite de la joie
Les petites histoires humaines font les épopées les plus réelles.
La résistance d'Elmoraden revêtait de l'importance, et travaillant pour l'un ou l'autre des camps je me tenais éloigné des idéologies pour ne chercher qu'à subsister en semant la mort là où on me l'ordonnait. Que ce soit pour un Gracien ou un natif, la vérité était que la raison reviendrait au vainqueur, comme ce fut le cas pour chacune des guerres que nous aurons connu. Moyennant finance bien sûr, parce que la gloire ne se mange pas, pour autant, je ne me pensais pas plus sale que n'importe quel soldat justifiant sa cruauté sous le couvert des aspirations politiques. Les idéaux sont quasiment toujours pacifique, mais l'histoire elle, demeure à jamais violente. Les batailles se succédant, des villages entiers se trouvaient rasés. On vit à travers montagnes, déserts et forêts des populations suivre un exode vers un camp de réfugié dont on disait que quelque soit son passé, quelque soit les maux dont on avait souffert, ou dont on souffrait toujours, il y avait une place pour soi et les siens. Perdu dans une sorte de désert rocailleux, l'on disait que le patron de ce camp, surnommé le Roi Lépreux, était aussi sage que bon.
À moi, il ne me fallait qu'une étape, le temps de manger et boire tout mon argent durement gagné dans le sang et la boue. Ce camp de réfugié, qu'on appelait curieusement "la cité de la joie", j'avais décidé que ce serait l'endroit où je passerai mon repos. Une étape dont j'ignorais la durée et ce n'était pas l'important. Quand bien même ce camp s'appelait la cité de la joie, je me doutais ne pas y trouver un parterre de fleur et la porte du paradis. Mais j'étais loin d'imaginer ce qui m'attendait là en réalité.
En passant à versant de colline, je rencontrais finalement, loin en avant, le fameux camp. De bien loin, il paraissait paisible et ordonné. Des allées bien tracées s'y dessinaient et quelques fumées s'en élevaient. De loin, tout est plus beau ai-je déjà entendu et c'était probablement d'autant plus vrai dans le cas présent. La première chose que je me demandais en voyant ce camp, c'était de quoi pouvait bien se nourrir ses résidents ? Pas de ville aux alentours, pas de champ, peut-être de l'élevage, mais de là où je me trouvais je ne voyais rien. J'espérai une fois sur place, trouver au moins de quoi me divertir.
Un bruit de pas sur mon côté et mon regard sur portait sur une toute jeune fille qui me regardait avec ses yeux ébahis. J'en savais la raison, mon apparence ; il était vrai que armuré avec une faux tenue sur l'épaule, je ne devais pas inspirer une grande sympathie. Son regard fixé sur moi fit qu'elle ne bougea pas et j'en profitais pour faire tomber le casque que je portais. Mon visage, qui lui, était immensément plus doux la fit se détendre un peu. Toutefois, étant donné la cause de tous les malheurs dont étaient responsables les militaires, rien n'était sûr quant à l'appréciation qu'elle aurait de moi. Je tentais un sourire, puis je m'adressais à elle avec respect, sinon au moins avec douceur.
-Bonjour. C'est la cité de la joie que je vois là-bas ?
-Oui, me répondit-elle timidement. Mais les soldats n'y vont pas d'habitude.
-Pourquoi ?
-Les gens là-bas les aiment pas beaucoup, à cause des guerres.
-J'apporte pas la guerre avec moi. Je veux juste un endroit ou me reposer quelque temps.
Elle me regardait encore un temps, un temps où je savais qu'elle cherchait à sonder l'honnêteté dans mon regard. Fort heureusement, avec moi qui disait la vérité et qui, hors de mon armure, était l'apparence de la tendresse, elle se laissait convaincre et me laissait enfin entrevoir un sourire que je lui rendis rapidement.
-Mon pépé est un peu plus bas, si vous venez avec moi, il voudra peut-être bien vous amener à l'entrée.
-Ce serait vraiment très gentil de votre part.
-Allez y venez !
Nous descendions ainsi le versant de la pente ouest pour retrouver un vieil homme qui avait l'air très aimable. Son grand-père je supposais, qui ne se trouvait pas si loin de là que ça. Il m'étonnait justement qu'une si jeune fille se trouva seule en pleine nature, mais son "pépé" veillait fort heureusement. J'avais rangé dans le dos la faux entre temps, car je ne voulais pas paraître menaçant. Il m’accueillait d'un sourire, malgré ma tenue clairement militaire, et sa petite fille qui m'annonçait, me présentait à lui sous le nom de "Chevalier". Toute enjouée qu'elle était, il me sembla qu'elle avait un lien très fort avec cet homme. Lui se présentait au nom de Zö, et sa petite fille portait le prénom de Jill. Lorsqu'il venait mon tour de me présenter, je préférai comme toujours donner une autre réponse que la vérité. Une habitude prise au cours des différentes missions que j'effectuais. Toutefois, Zö sembla plutôt s'amuser de ma réponse, il respirait en fait la bonté ce bonhomme et cela me déridait autant que cela me mettait à l'aise. Sa petite fille, qui quoi que joyeuse, me donnait plutôt l'impression d'être calme et docile, au point qu'elle restait silencieuse le temps que nous parlions.
-C'est que je n'ai pas de nom... On ne m'en a pas donné, alors je laisse les gens me nommer comme ils veulent.
-Et bien jeune homme on me l'avait jamais faite celle-la et pourtant j'en ai vu ! Si je dois t'appeler comme je veux, disons que tu seras... mmmh... Attends voir ! Il me fixait un moment, un sourire à peine voilé sous sa barbe blanche. Le Blanc !
-Pourquoi le Blanc ? Lui demandais-je amusé.
-Parce que tu es très clair pour un Sombre ! Me répondit-il plein d'entrain. Alors comme ça vous souhaitez passer quelque temps dans la cité de la joie ?
-Oui, je vous promets que je vous ferais pas de soucis.
-Il y a quelques soldats qui passent de temps en temps. Mais jamais pour causer des problèmes.
-Votre petite-fille m'a dit que les gens là-bas ne les appréciaient pas tellement.
-C'est comme partout, ça dépendra sur qui vous tomberez.
-Il y a un genre d'auberge là-bas ? Où quelque part ou dormir ? J'aimerai manger aussi, j'ai de quoi payer.
-Vous pouvez venir chez moi pour cette nuit, chez moi la porte est toujours ouverte aux voyageurs.
-On rencontre pas beaucoup de gens aussi généreux que vous. Je ne voudrais pas abuser de vos gentillesses. Et puis je ne vous cache pas que j'ai besoin d'un autre genre de compagnie. Lui disais-je presque gêné.
-Haaaa vous les jeunes, vous ne perdez jamais le nord ! C'est peut-être un camp de réfugié mais vous y trouverez presque tout ce qu'il y a dans une ville, et même ce que vous cherchez. Allons ne rougissez pas. Vous êtes soldat et j'ai été jeune moi aussi je sais ce que c'est. Allez venez.
Le Camp était c'est vrai immense, et cela ne m'étonnait guère que les habitants s'y soient finalement si bien organisés. Tandis que j'étais conduit par Zö jusqu'à l'une des entrées, il me présentait l'endroit, en nommant et m'indiquant tous les lieux qui pouvaient présenter un intérêt pour moi. J'évitais de lui poser trop de question d'un coup, par respect, et parce que j'aimais me faire ma propre idée. J'avais déjà vu des camps de réfugiés, et ce n'était jamais franchement gaie. Dans celui-ci, quoi que le bonne humeur y régnait en apparence selon Zö, il y avait toujours les mêmes problèmes. Les problèmes sanitaires entre autre, les maladies qui n'étaient pas rare, les difficultés à se nourrir, et tous les habitants n'étaient pas aussi bon qu'il aurait voulu me l'affirmer. Au moins il était honnête. Il était sortit avec sa petite fille pour aller cueillir des plantes. Herboriste, il confectionnait des potions et des baumes capables de soulager certains maux et c'était ainsi qu'il se rendait utile à sa communauté.
Quand nous étions suffisant proche, j'entendais un chant s'élever au-delà du crépuscule qui venait. Un chant magnifique, remplit de joie et d'une je ne savais quelle "humanité". Il me réchauffait le cœur au point quand j'en étais surprit et Zö qui le remarquait en souriait. Jill courrait vers l'entrée sans nous attendre pour rejoindre un groupe d'enfant qui devait certainement être son groupe d'ami. L'entrée était gardée par deux hommes en armes, montés sur un cheval. Ils ne nous arrêtèrent pas, en fait, ils ne nous dirent rien du tout, pas même un bonjour, mais je devinais à cela que le camp s'était fait une petite milice. Le maintien de l'ordre uniquement ? Ou leur protection ? Je l'ignorais, mais je savais que ces gardes n'étaient certainement pas des soldats confirmés. Je voyais déjà la fumée d'un grand feu passer par-dessus les tentes que je découvrais en entrant dans le camp. La vérité était que c'était précaire. Poussière, boue et saleté étaient clairement le lot quotidien de ces gens. Je savais qu'il n'y aurait pas de sanitaires par exemple et je n'osais imaginer jusqu'où les conditions de vies pouvaient être difficile pour eux. Malgré tout, le chant que j'entendais disait exactement le contraire. Ils étaient nombreux à chanter oui, et c'est vers ce chant que mon conduisait Zö. Selon lui, je rencontrerai là la personne que je cherchais...
À une trentaine de mètres de là. Un grand feu avait été fait, comme m'avait-on dit chaque soir peu avant le couché du soleil. On trouvait autour de celui-ci une bonne centaine de personnes, dont beaucoup chantaient, ce qui expliquait l'harmonie qu'inspirait ce chant à l'unisson. C'était là que m'attendait celle qu'on me présenterait en tant que Lucy, très respectueusement surnommée "La princesse des putains"... Selon Zö, elle s'amusait de ce surnom et il était mérité de son propre aveu. La jeune femme, pas plus de trente ans, était en effet avec un groupe de filles sous sa garde et sa protection, la pourvoyeuse de plaisir du camp. En d'autres endroits, cela aurait porté à jugement et moult réprimandes moralisatrices, mais ici cela paraissait normal. C'était une curieuse ambiance dans laquelle je me trouvais maintenant. J'arrivais dans une ambiance de fête, où petits et vieux chantaient et dansaient comme pour louer je ne savais quelle récompense. La nourriture et la boisson étaient distribuées sans que l'on demanda à qui que ce soit de payer. Je ne savais pas d'où cela venait et je n'osais le demander, mais quand j'arrivais et que Zö me présentait, tous, et je dis bien tous, avaient le sourire et la joie de vivre sur le visage. En d'autres temps, j'aurai dit que c'était "un peu trop". Mais vu leur situation, et mon ressentit, je me disais qu'il s'agissait plus d'un moyen d'évacuer tout le malheur auquel devait faire face cette population. C'est là que je la rencontrais, Lucy. Elle était assise à même la terre, les joues dans les mains avec le regard porté vers les gens qui dansaient et chantaient. Elle me fit un certain effet je ne le cache pas, mais réservé de nature, quand on me présentait, c'était à la voix basse et au regard fuyant que je lui répondais. Elle avait l'air de s'en amuser, mais je ne m'en offensais pas.
-Le Blanc ? Un Sombre ! Je suis enchantée ! Bienvenue à la cité de la joie.
-Merci beaucoup...
-Tu as faim ? Nous avons du sake aussi si tu veux.
-C'est que je ne veux pas abuser.
-Ha ha ha, c'est moi qui te propose, ce serait mal élevé de refuser. Viens t'asseoir.
Je défaisais ma faux, et la posais sur le sol pour pouvoir m'installer à côté d'elle. Elle n'était pas dupe, et je le savais, si Zö m'avait amené vers elle ce n'était pas sans raison. Mais le sujet était bien délicat à aborder et je n'osais pas. Elle ne le faisait pas non plus, au contraire, elle agissait tout autrement, elle ne me donnait pas l'impression d'être un client en fait. Plutôt un invité avec qui faire connaissance.
-Tu viens d'où ?
-Tu veux dire où je suis né ? Ou d'où j'arrive ?
-Les deux pourquoi pas.
-Je suis né dans les terres Sombres. Mais je viens de l'est, d'Aden.
-Tu es un mercenaire ?
-De temps à autre. Répondais-je gêné.
-Tu te bats pour qui ?
-Pour celui qui paye... Lui disais-je en détournant le regard.
-Tu ne gagneras pas d'argent ici tu sais. Me rétorquait-elle amusée.
-Je viens plutôt dépenser celui que j'ai déjà. Lui répondais-je tout aussi amusé.
-Tu comptes rester longtemps ?
-Je ne sais pas. Le temps que ça dure.
-C'est beau n'est-ce pas. Continuait-elle en regardant tous ces gens transpirer de bonne humeur.
-J'ai pas l'habitude de voir ça, mais c'est vrai que c'est beau. Pourquoi ils sont si joyeux ?
-Le bonheur commence par le sourire, pas l'inverse. Ici il n'y a que des parias. Soit que leurs maisons sont brûlées par la guerre, soit qu'ils sont au district des malades parce qu'ils ont la lèpre ou la syphilis ou autre chose. Soit ils fuient quelque chose qui ne les concerne qu'eux. C'est pas très beau ici, on le sait tous, mais au moins personne ne cherche à manger personne.
Je tenais mon gobelet de sake entre les deux mains sans ne savoir que dire. Alors je buvais une gorgée et m'efforçais de sourire. Elle ne me regardait pas, elle regardait le vague, veillant sur ce que je pensais être "ses filles". Le regard qu'elle leur portait était plus celui d'une mère qu'une maquerelle, et je trouvais cela tendre. Ainsi, me suis-je dis, que je resterai bien quelques temps ici, parce que le semeur de mort que j'étais ici, n'aurait pas, à semer, la mort...
Zö m'avait laissé là pour aller avec les siens, et Jill s'amusait avec des enfants bien loin de là. Je voyais déjà la nuit tomber, mais le feu nous réchauffait et nous éclairait. Manieur de sortilège, je trouvais cela d'autant plus beau. Et les chants continuaient, jusqu'à ce que Lucy se dressa. Elle me tendit la main après s'être placée face à moi, sans un mot. Je posais le gobelet, et saisissais sa main de la mienne en ramassant ma faux de l'autre. Une fois que je me trouvais debout, elle me dit simplement.
-Viens. Me murmurait-elle avec un sourire.
Et je la suivais.
La tente où je passais une agréable nuit était bien tenue. Et quoi que je n'étais pas dupe sur les modalités d'une relation tarifiées, Lucy savait mettre à l'aise et donner au moins l'impression qu'elle n'avait pas trouvé cela aussi désagréable que cela pourrait l'être. Sa tente était l'une des plus grandes, car il y vivait non seulement elle, mais quatre autres jeunes filles, toutes du même "métier".
Au beau matin, nus sur le lit de fortune, nous fumions une cigarette en sirotant un thé qu'elle m'avait servit. Pour peu que l'on ne se trouva pas dans un camp de réfugié, on aurait pensé qu'elle ne manquait de rien. Nous prenions ainsi le temps de discuter un peu, avant que je cherche un autre endroit ou dormir cette nuit, je n'allais pas après tout rester éternellement sur le lit avec elle, même si sa compagnie était apaisante. Elle me parlait avec naturel, et sentait une odeur de sainteté malgré son métier, chose qui me séduisait beaucoup. Suffisamment pour que nous ayons une vraie conversation qui allait au-delà du beau temps et de la pluie.
-Tu comptes rester toute nue toute la journée ? Lui disais-je comme une taquinerie.
-La robe est plus longue à mettre qu'à enlever, et pour ça on ne s'aide jamais tu as remarqué ? On se déshabille mutuellement, mais jamais on se rhabille.
-C'est moins amusant sans doute.
-Tu sais où tu vas dormir ce soir ?
-Zö m'avait proposé le gîte hier, j'irais à sa tente et après je verrais.
-Tu peux revenir quand tu veux.
-Ma bourse n'est pas éternelle... Sans mauvais jeu de mot. Ce qui la fit tout de même sourire.
-Tu repartiras à la guerre quand tu te seras assez reposé... On dit qu'elle approche de la fin.
-Après une guerre il en vient toujours une autre. Mon métier ne connaît pas la crise.
-Pourquoi tu as choisit ce métier ?
-Je n'ai rien choisit, je suis né et voilà ce que je suis.
-À ce compte-là moi aussi.
-Il faudra bien que nous prenions une retraite un jour...
-Hey ! J'ai encore de belles années devant moi tu sais.
-C'est certain ça, répondais-je amusé.
Les putains de mon point de vue n'avaient que rarement le respect qui leur était dû. Les soldats en étaient des clients friands car rare étaient les femmes prête à construire une vie avec des hommes toujours loin de leur foyer sans jamais l'assurance d'y revenir. De même, elles soignaient les maux du cœurs de ceux plongés dans la solitude et l’effroi, ou encore trop laid pour avoir connu de gré la volupté d'une caresse féminine. L'affection est un besoin vital même s'il ne fut jamais classé ainsi dans la pyramide de Maslow. Pourtant, la majorité de ceux qui fréquentaient les prostitués en avait honte, comme s'il s'agissait d'un aveu de faiblesse, de ne pas obtenir l'amour et la sexualité sans avoir à débourser. J'aurai aimé que l'on me dise un jour dans quel couple l'homme n'aura pas eut débourser le moindre sous, mais enfin, les vertus et la morale possèdent des nuances qui échappent parfois à toute logique.
Elle ne comprenait pas je crois que les guerriers naissaient guerriers. Nous n'avions pas le choix de notre vie. Naître avec des pouvoirs destructeurs conduit à détruire, sinon du moins les clans dans lesquels les enfants naissent s'emploient à ce que cela se passe ainsi. Le prestige dans la puissance de détruire, de la force individuelle, comme ce que le caractère animal et primitif n'aura pu se résoudre à se détacher de l'humanité que les hommes cherchent tristement à atteindre... Lucy qui couchait sans cause, me paraissait en fait avoir plus de noblesse que ceux qui massacraient au nom d'un idéal.
Nous entendîmes un moment la voix de Zö à travers le tissu de la tente. Il appelait Lucy et son timbre semblait inquiet. Elle se levait et comme d'instinct je l'aidais à s'habiller. Nous venions d'en parler et je pouvais ainsi lui donner tort. "J'arrive" lui disait-elle et le pauvre devait attendre. Je restais quand elle fut prête toujours nu sur le lit. Zö lui annonçait l'arrivée de deux chevaliers de la résistance qui avaient quelque peu forcé le passage. Moi je me demandais pourquoi cela la concernait elle d'abord... Mais en sachant que deux soldats arrivaient je décidais de m'habiller à mon tour. Ramenant l'armure à mon corps, je n'omettais pas de remettre aussi le casque sur mon visage. Je me saisissais de la faux et je sortais rejoindre Lucy et Zö.
-Les Gardes ont pas osé leur refuser le passage apparemment, s'écriait Zö.
-Rien d'étonnant, porter une armure et des armes ne fait pas de vous un guerrier, intervenais-je.
Lucy tournait le regard sur moi et je vis en son œil que dans cette tenue elle m'appréciait différemment. Peut-être prenait-elle un peu plus conscience de ce que j'étais. Ce n'était pas le sujet toutefois.
-Ils ont dit pourquoi ils venaient ? Demandais-je à Zö.
-Simplement se détendre il parait, me répondit-il.
-En quoi c'est un problème alors ? Demandait Lucy.
-Tu es la sœur du Roi Lépreux, en son absence c'est à toi de les accueillir.
La sœur du Roi Lépreux. Ainsi j'apprenais que le chef du camp était absent et qu'en plus celle qu'on surnommait la princesse des putains était tout bêtement sa sœur. Là, je voyais sortir de la tente derrière nous une fille blonde, qui tirait par la main une autre que je n'avais pas encore vu, toute bandée de la tête aux pieds et qui paraissait simplette, puisqu'elle ne parlait pas, elle ne poussait que des petits cris et des petits gémissements. Cela m'interloquait mais je n'avais pas le temps de m'attarder là-dessus.
-Lucy, si tu veux je peux t'accompagner. Ce n'est sans doute rien.
-La faux à la main ? Demandait avec étonnement Zö.
-Les mercenaires ont leur propres manières, lui répondais-je.
La petite blonde nous coupait, en s'adressant à Lucy. "J'emmène Hélène au dépôt" lui dit-elle. Et Lucy ne fit qu'un hochement de tête avant de se retourner vers moi.
-Pas de grabuge s'il te plait. Me dit-elle.
-S'ils n'ont pas d'intention belliqueuse il n'y en aura pas. Vous m'avez accueillit, je suppose que vous pourrez en faire autant pour eux.
-Eux sont clairement de la rébellion. On veut pas que l'Empire nous tombe dessus.
À cela je n'avais rien à répondre. Et fort heureusement Lucy qui partait me permettait d'éviter d'avoir à le faire. Nous nous dirigions donc vers l'entrée où les deux soldats en question étaient arrivés. Sur le chemin, je ne pouvais m'empêcher de lui poser cependant au moins une question.
-Il est où ton frère ?
-Parti avec une troupe chercher notre ravitaillement. Il négocie je ne sais comment avec je ne sais qui pour que ne manquions de rien ou presque.
-Vous manquez de médicament surtout je crois.
-Si encore nous avions des médecins pour savoir les utiliser...
Nous tombions là-bas sur deux soldats en effet. Je reconnaissais le clan Sasanaide au premier coup d’œil, moi qui fut élevé ici près de la cité Orientale par des Sombres. Le deuxième je ne supposais rien car je ne remarquais pas de signe distinctif. Je ne faisais pour le moment office que d'escorte à Lucy, qui était celle à qui revenait d’accueillir ces deux personnes. Sous mon casque, je ne disais rien pour le moment. Je me contentais de veiller.
-Bonjour à vous ! S'annonçait-elle pleine de joie et d'entrain. Vous avez forcé le passage parait-il, ça a fait paniquer pas mal de gens ici. Vous comprenez que les soldats ne sont pas forcément bien vus dans un camp de réfugié. Mais s'il est vrai que vous ne venez pas causer de problèmes, vous êtes les bienvenus à la cité de la joie. Je suis Lucy, et disons que je gère ce que je peux en l'absence de mon frère à qui appartient ce camp.
-La résistance n'a-t-elle pas son propre camp ? Intervenais-je alors. J'usais d'un aimable ton, mais je n'oubliais pas, non plutôt malgré moi, il y avait déjà un brin de défiance dans cette question. En effet, il me paraissait curieux que des hommes dont l'allégeance était revendiquée eurent besoin d'aller se reposer dans un camp de réfugié.
-C'est un fort joli nom en tout cas, je m'appelle Sasanaide Kumiko, enchantée de vous connaître hmm … Lucy. La rébellion a même plusieurs camps, mais à qui avons-nous à faire ? Vous ne semblez pas être aussi dans le besoin que ces personnes, hm. D'autant plus que la rébellion se bat de toutes ses forces pour que les populations vivent libres. Quelque part, nous sommes dans le même camp face aux Graciens. Nous répondait la Sasanaide.
-Et puis, il n’y a rien d’autre que ce camps à des kilomètres à la ronde, un peu de repos avant de reprendre la route serait salvateur. Mais excusez moi ma curiosité, vous dîtes que ce camp appartient à votre frère, c’est une façon de dire qu’il est le chef ou il est à l’origine de la création de camp ? Ça n’a pas dû être facile d’organiser tout cela avec le peu de moyen que vous devez avoir, surtout que les Graciens et les Adeniens sont bien trop préoccupés par la guerre pour vous aider vraiment. Ajoutait le soldat qui accompagnait la Sasanaide après un "bonjour à vous".
Je tournais mon regard vers Lucy, je ne pressentais pas d'animosité de leur part, au point que je laissais tomber mon casque tomber pour dévoiler mon visage d'ange aux yeux bleus, dont l'innocence loin de paraître usurpée figurait être un fardeau plus lourd à porter que la faux que je rangeais dans le dos. Lucy ne perdait pas sa jovialité et s'efforçait d'accueillir ces deux guerriers avec la dignité dû à tout être humain, sinon à des Sombres. Ils posaient des questions qui selon moi ne les regardait pas, mais il ne me revenait pas non plus de juger de cela et Lucy était la seule à pouvoir en définir l'importance. Toutefois, avant qu'elle ne réponde, je me permettais une remarque gratuite certes, mais dont je ne négligeais pas l'importance. Ce n'était pas que je me renfrognais à leur vis à vis, c'était que je souhaitais rappeler à une réalité des guerriers qui se pensaient légitimes comme tout ceux qui défendaient une cause.
-Un idéal en réduit toujours un autre en cendre.
Le ton était doux, fataliste, tandis que je fixais surtout la jeune Sombre rousse qui avait évoqué son gout de la liberté et son combat pour celle-ci. "Liberté liberté, que de crime on commît en ton nom", me disais-je cette fois à moi-même en pensée. Je n'avais de haine pour aucun des deux belligérants pour ma part. Je savais qu'une fois cette guerre terminée, les hommes trouveraient bien une autre raison de verser du sang. Je n'étais pas pourtant le genre à donner des leçons de morale, toutefois leur réaction à cela m'en dirait bien long sur leur personnalité. Lucy, ne les laissait pas me répondre tout de suite, sans doute voulait-elle "améliorer" l'ambiance avant. Je savais pourtant, ayant converser avec elle, que de dire que les réfugiés étaient dans le même camp que les Adeniens ne passerait pas. Même si elle ne le ferait sans doute pas remarquer pour ne pas ajouter de la tension là où ce serait inutile, je trouvais cela tout aussi gros pour ma part. Ici, les réfugiés n'avaient pas de camp, et de fait, il ne fallait pas se leurrer, le laboureur exploité par l'Empire, serait exploité ensuite par le Gracien. Pour lui cela ne changerait rien, si ce n'est qu'entre temps, il aura eut sa demeure à reconstruire et son champ a replanter.
-Vous serez accueillit et vous pourrez vous reposer. Du moment que vous vous montrez assez discret pour ne pas attirer les soldats Graciens ou Adeniens ici. Vous avez dû le remarquer, ce n'est pas notre petite milice qui saurait arrêter des hommes entraînés et déterminés. Mon frère est effectivement le créateur de ce camp, et il en est devenu plus le protecteur que le chef pour être honnête avec vous. Mais il n'est pas là pour le moment, il sera revenu dans quelques jours au plus tard. Hô, et voici le Blanc, que nous avons accueillit également hier.
Redressant le regard tant vers eux que Lucy, je n'oubliais pas avoir précisé que je me battais pour celui qui payait quand elle m'avait posé la question. Aussi avais-je combattu pour les deux camps. Chose qui n'était pas certaine de passer. Je ne comptais toutefois pas stopper Lucy si elle leur en faisait part. Je préférais de loin l'honnêteté et ce n'était pas le lieu, j'espérai qu'ils le comprendraient, pour déclencher un combat entre soldats.
-Je ne sais pas où vous pourrez passer la nuit en revanche. Si vous trouvez quelqu'un pour vous héberger ce serait idéal. J'ai plusieurs tentes pour ma part où nous logeons avec mes filles. Mais les nuits y sont payante autant que le divertissement que n'y prodiguons. Concluait-elle.
Quelle jolie formule pour présenter un bordel improvisé me disais-je en moi-même sans pouvoir retenir un sourire. Comprendraient-ils la subtilité ? Ils étaient tous les deux très beaux et bien soignés, et la jeune Sasanaide ne paraissait pas faire de grande manière, pas puritaine au premier coup d’œil en tout cas. Mais cela ne me concernait pas. Je voyais une occasion de peut-être trouver du travail en les rejoignant quelques temps quand ils partiraient, mais avant cela, je voulais un peu mieux jauger qui ils étaient. Rebelles combattant pour la liberté, peut-être, mais un assassin demeure un assassin et tous les principes ne sont pas les mêmes pour qui joue tant de l'épée que de la magie.
-Je sais que les dernières batailles ont été éprouvantes pour les deux camps. Je suppose qu'ils voudront surtout manger et se reposer. Ce soir, au feu de camp à l'aurore des chants, ils verront bien de quoi faire des rencontres et feront leur choix tu ne penses pas ? Demandais-je à Lucy.
-Oui oui c'est sûr ! Me répondit-elle toujours la joie sur le visage.
En quoi cela me concernait après tout ? Moi qui n'était là que depuis hier... Je me surprenais moi-même à vouloir prendre soin de ces réfugiés, et Lucy fort heureusement ne semblait pas s'en offusquer. Elle ne me fit qu'un hochement de tête approbatif dont les deux soldats feraient ce qu'ils voudraient.
-Bien ! Je dois rejoindre deux de mes filles au dépôt. Je vous laisse entre militaires ! Terminait-elle avant de partir.
Quant à moi, maintenant seul avec eux deux, je ne savais pas vraiment quoi faire ou dire de plus. Alors je laissais le silence s'installer entre nous pendant quelques instants jusqu'à ce que je me décide à le rompre.
-Lucy n'en a pas parlé, mais ils ont pas mal de difficultés ici, surtout médicales et sanitaire. Si l'un de vous deux a des compétences médicales, je pense qu'aider les résidents de ce camp donnerait une meilleure image des Adeniens. Elle n'a rien dit, sans doute car ce n'est pas parce qu’on a plus rien qu'on a plus de fierté. Il ne me semble pas que le jeune homme ce soit présenter au fait.
La conversation et la rencontre durait et ne démarrait pas si mal que ça. En fait, je pressentais l'envie de s'intégrer chez ces soldats. Sans aller jusqu'à croire en leur complète innocence, ce qu'ils répondaient à Lucy me satisfaisait. La jeune Sombre allait même jusqu'à exprimer de l'entrain devant l'idée d'un feu de joie et quoi que ce son compagnon y semblait moins emporté, il ne paraissait pas trouver cela désagréable pour autant. Aussi me disais-je que même s'ils étaient présent pour une autre raison que le repos, ils ne chercheraient pas au moins à causer du trouble. Était-ce ce camp que je protégeais alors ? Ou ma propre quiétude ? Si l'on lisait en ce moment le récit de ma vie, la question serait légitime, et j'y répondrais sans doute que quelque soit la réponse, le résultat serait finalement le même. Alors à quoi bon s'en soucier, si moi, le premier concerné, je ne m'en souciais pas,... Ou pas.
-Vous êtes là depuis longtemps ? Vous prenez à cœur la vie de ces gens à moins que ce ne soit qu'elle ? Me demandait pleine de jovialité Kumiko.
Et je me demandais si elle avait écoutée la conversation. Lucy avait dit que je n'étais présent que depuis hier pourtant, mais l'information avait dû lui échapper. J'en souriais en réalité, autant devant son énergie débordante que de son étourderie. Elle avait rit quand j'évoquais les idéaux cendrés et riait encore de presque tout. Chacune de ses paroles respiraient, et inspiraient même, un goût de la joie. Cette jeune femme qui avait plus d'un tour dans son sac aux vus des tatouages qu'elle avait sur le corps, semblait être aussi bienveillante que Lucy. Bien sûr, cela me ravissait, et quoi que je n'étais pas démonstratif à son point, le regard que je posais sur elle se fit aussi tendre que doux et le sourire que je lui portais se faisait témoin de l'estime grandissante que j'avais d'elle. La réserve ne tombait pas pour autant, mais, on ne se refait pas... Je n'avais pas le temps de répondre que son comparse intervenait lui aussi, tant pour se présenter que pour me désillusionner quant à leurs compétences médicales.
-Vous avez raison, je m’en excuse, je m’appelle Fugand. Avec ce qu’il s’est passé, j’avais un peu la tête ailleurs. Et personnellement, je n’ai aucune compétence médicale. Je pourrais à la limite aider à faire certains diagnostics, j’ai une bonne connaissance des maladies, mais pour ce qui est du soin, je ne peux rien faire pour vous malheureusement. Ajoutait donc Fugand.
Cela me fit perdre un instant mon sourire, il aurait été trop beau que le hasard nous mena des soldats médecins de toute façon. Connaissant le sens de l'humour noir dont était capable les Dieux, cela ne m'étonnait finalement guère. Il était inutile alors de chercher à imposer une aide de leur part à ces résidents. Ils ne les connaissaient pas plus que moi, et hors de l'occasion qui aurait pu se présenter sous leurs talents, ni eux ni moi, n'étions responsables de ces gens-là. Je convenais pour ma part qu'il faille seulement me conduire en bon invité, à la hauteur de la délicatesse de mes hôtes.
Il s'agissait maintenant de répondre, surtout à Kumiko puisque son compagnon ne posait pas tellement de question. Je baissais un peu la tête timidement, non pas que j'avais honte de ce que j'allais annoncer, mais que parler de moi déclenchait toujours un certain malaise en moi et ce malgré mes efforts pour le contrôler. Moi ? Le sujet qui m'ennuyait le plus. Mais c'était en se montrant honnête avec autrui, qu'on lui donnait le plus de gage de sa bienveillance autant que de sa confiance. Un risque certes, mais je me figurais ne pas risquer le combat, juste, au plus grave, une réticence à mon égard.
-Je ne suis arrivé qu'hier comme Lucy l'a dit. Avant cela, je combattais pour les Adeniens, et avant cela encore, pour Gracia, et avant cela encore... Pour un autre. Je marquais un temps d'arrêt et relevais une œillade désolée et compatissante. Prise de pitié à leur égard ? Bien sûr que non, cela ne serait pas respectueux et ne serait pas mérité. C'était plutôt que je sentais mes principes probablement obsolètes à leurs yeux, ce qui, par avance, développait un sentiment de solitude en moi dont j'étais maintenant coutumier. Ma voix fort heureusement n'était pas celle d'un dépressif enclin au fatalisme le plus complet. Simplement celle d'un homme profondément doux, qui était convaincu de sa propre philosophie.
-Je tente de laisser du bon là où je passe, d'autant plus quand j'y suis bien accueillit comme ici, peu importe devant qui je tombe. Continuais-je. Je suis peut-être un meurtrier à vendre maintenant à vos yeux, mais je n'ai jamais fait de ce métier un plaisir je puis vous l'assurer. Mon ennemi sur un champ de bataille ne l'est que le temps de la bataille. Par habitude j'ai vu que d'un côté ou de l'autre, c'est toujours la même histoire, les deux camps se disent les plus justes, il n y'a de guerre que lorsque deux partis se disent légitimes.
je n'avais pas plus développé que cela mes sentiments et mes égards. Ce fut déjà bien assez suffisant pour risquer de me faire haïr s'ils fussent fanatiques. Et d'ailleurs rien ne disait que tout cela les intéressait au final. J'en venais donc à un tout autre sujet avant de leur laisser le temps de répondre.
-Je crains hélas que nos compétences réunis ne suffisent pas. C'est grand dommage pour eux, mais ils ne sont pas de notre responsabilité. Quoi qu'indéniablement, vous et moi avons contribué à conduire ces gens ici.
Un reproche ? Non, un fait, un fait que nous devions porter sur les épaules selon moi, et le porter le plus dignement possible. Eux comme moi, n'avaient sans doute pas choisit leur condition plus que les gens résidents dans ce camp. Nul innocence pour qui que ce fut en ce bas monde, ainsi juger de la responsabilité des malheurs était bien peu sage pour qui que ce fut. Je pointais alors le centre du camp, où je savais de Lucy, qu'ils pourraient y trouver le dépôt s'ils avaient des objets à chercher.
-Là-bas se trouve une sorte de magasin si vous cherchez quoi que ce soit. J'ai aussi ouï dire qu'il restait un peu de place à l'est du camp s'il vous en fallait. Sachez que je ne suis personne ici cependant. Etant soldat, et craignant que la milice soit dépassée par les talents que nous connaissons, je voulais seulement m'assurer que mon propre repos ne serait pas troublé. J'ai eu je crois une réponse favorable, finissais-je avec un amical sourire.
Un petit mensonge à moi-même peut-être, car effectivement, la nuance des sentiments que je vouais à ce camp était bien plus complexe.
-Je compte de toute façon m'y rendre, si vous voulez m'y accompagner ?
La résistance d'Elmoraden revêtait de l'importance, et travaillant pour l'un ou l'autre des camps je me tenais éloigné des idéologies pour ne chercher qu'à subsister en semant la mort là où on me l'ordonnait. Que ce soit pour un Gracien ou un natif, la vérité était que la raison reviendrait au vainqueur, comme ce fut le cas pour chacune des guerres que nous aurons connu. Moyennant finance bien sûr, parce que la gloire ne se mange pas, pour autant, je ne me pensais pas plus sale que n'importe quel soldat justifiant sa cruauté sous le couvert des aspirations politiques. Les idéaux sont quasiment toujours pacifique, mais l'histoire elle, demeure à jamais violente. Les batailles se succédant, des villages entiers se trouvaient rasés. On vit à travers montagnes, déserts et forêts des populations suivre un exode vers un camp de réfugié dont on disait que quelque soit son passé, quelque soit les maux dont on avait souffert, ou dont on souffrait toujours, il y avait une place pour soi et les siens. Perdu dans une sorte de désert rocailleux, l'on disait que le patron de ce camp, surnommé le Roi Lépreux, était aussi sage que bon.
À moi, il ne me fallait qu'une étape, le temps de manger et boire tout mon argent durement gagné dans le sang et la boue. Ce camp de réfugié, qu'on appelait curieusement "la cité de la joie", j'avais décidé que ce serait l'endroit où je passerai mon repos. Une étape dont j'ignorais la durée et ce n'était pas l'important. Quand bien même ce camp s'appelait la cité de la joie, je me doutais ne pas y trouver un parterre de fleur et la porte du paradis. Mais j'étais loin d'imaginer ce qui m'attendait là en réalité.
En passant à versant de colline, je rencontrais finalement, loin en avant, le fameux camp. De bien loin, il paraissait paisible et ordonné. Des allées bien tracées s'y dessinaient et quelques fumées s'en élevaient. De loin, tout est plus beau ai-je déjà entendu et c'était probablement d'autant plus vrai dans le cas présent. La première chose que je me demandais en voyant ce camp, c'était de quoi pouvait bien se nourrir ses résidents ? Pas de ville aux alentours, pas de champ, peut-être de l'élevage, mais de là où je me trouvais je ne voyais rien. J'espérai une fois sur place, trouver au moins de quoi me divertir.
Un bruit de pas sur mon côté et mon regard sur portait sur une toute jeune fille qui me regardait avec ses yeux ébahis. J'en savais la raison, mon apparence ; il était vrai que armuré avec une faux tenue sur l'épaule, je ne devais pas inspirer une grande sympathie. Son regard fixé sur moi fit qu'elle ne bougea pas et j'en profitais pour faire tomber le casque que je portais. Mon visage, qui lui, était immensément plus doux la fit se détendre un peu. Toutefois, étant donné la cause de tous les malheurs dont étaient responsables les militaires, rien n'était sûr quant à l'appréciation qu'elle aurait de moi. Je tentais un sourire, puis je m'adressais à elle avec respect, sinon au moins avec douceur.
-Bonjour. C'est la cité de la joie que je vois là-bas ?
-Oui, me répondit-elle timidement. Mais les soldats n'y vont pas d'habitude.
-Pourquoi ?
-Les gens là-bas les aiment pas beaucoup, à cause des guerres.
-J'apporte pas la guerre avec moi. Je veux juste un endroit ou me reposer quelque temps.
Elle me regardait encore un temps, un temps où je savais qu'elle cherchait à sonder l'honnêteté dans mon regard. Fort heureusement, avec moi qui disait la vérité et qui, hors de mon armure, était l'apparence de la tendresse, elle se laissait convaincre et me laissait enfin entrevoir un sourire que je lui rendis rapidement.
-Mon pépé est un peu plus bas, si vous venez avec moi, il voudra peut-être bien vous amener à l'entrée.
-Ce serait vraiment très gentil de votre part.
-Allez y venez !
Nous descendions ainsi le versant de la pente ouest pour retrouver un vieil homme qui avait l'air très aimable. Son grand-père je supposais, qui ne se trouvait pas si loin de là que ça. Il m'étonnait justement qu'une si jeune fille se trouva seule en pleine nature, mais son "pépé" veillait fort heureusement. J'avais rangé dans le dos la faux entre temps, car je ne voulais pas paraître menaçant. Il m’accueillait d'un sourire, malgré ma tenue clairement militaire, et sa petite fille qui m'annonçait, me présentait à lui sous le nom de "Chevalier". Toute enjouée qu'elle était, il me sembla qu'elle avait un lien très fort avec cet homme. Lui se présentait au nom de Zö, et sa petite fille portait le prénom de Jill. Lorsqu'il venait mon tour de me présenter, je préférai comme toujours donner une autre réponse que la vérité. Une habitude prise au cours des différentes missions que j'effectuais. Toutefois, Zö sembla plutôt s'amuser de ma réponse, il respirait en fait la bonté ce bonhomme et cela me déridait autant que cela me mettait à l'aise. Sa petite fille, qui quoi que joyeuse, me donnait plutôt l'impression d'être calme et docile, au point qu'elle restait silencieuse le temps que nous parlions.
-C'est que je n'ai pas de nom... On ne m'en a pas donné, alors je laisse les gens me nommer comme ils veulent.
-Et bien jeune homme on me l'avait jamais faite celle-la et pourtant j'en ai vu ! Si je dois t'appeler comme je veux, disons que tu seras... mmmh... Attends voir ! Il me fixait un moment, un sourire à peine voilé sous sa barbe blanche. Le Blanc !
-Pourquoi le Blanc ? Lui demandais-je amusé.
-Parce que tu es très clair pour un Sombre ! Me répondit-il plein d'entrain. Alors comme ça vous souhaitez passer quelque temps dans la cité de la joie ?
-Oui, je vous promets que je vous ferais pas de soucis.
-Il y a quelques soldats qui passent de temps en temps. Mais jamais pour causer des problèmes.
-Votre petite-fille m'a dit que les gens là-bas ne les appréciaient pas tellement.
-C'est comme partout, ça dépendra sur qui vous tomberez.
-Il y a un genre d'auberge là-bas ? Où quelque part ou dormir ? J'aimerai manger aussi, j'ai de quoi payer.
-Vous pouvez venir chez moi pour cette nuit, chez moi la porte est toujours ouverte aux voyageurs.
-On rencontre pas beaucoup de gens aussi généreux que vous. Je ne voudrais pas abuser de vos gentillesses. Et puis je ne vous cache pas que j'ai besoin d'un autre genre de compagnie. Lui disais-je presque gêné.
-Haaaa vous les jeunes, vous ne perdez jamais le nord ! C'est peut-être un camp de réfugié mais vous y trouverez presque tout ce qu'il y a dans une ville, et même ce que vous cherchez. Allons ne rougissez pas. Vous êtes soldat et j'ai été jeune moi aussi je sais ce que c'est. Allez venez.
Le Camp était c'est vrai immense, et cela ne m'étonnait guère que les habitants s'y soient finalement si bien organisés. Tandis que j'étais conduit par Zö jusqu'à l'une des entrées, il me présentait l'endroit, en nommant et m'indiquant tous les lieux qui pouvaient présenter un intérêt pour moi. J'évitais de lui poser trop de question d'un coup, par respect, et parce que j'aimais me faire ma propre idée. J'avais déjà vu des camps de réfugiés, et ce n'était jamais franchement gaie. Dans celui-ci, quoi que le bonne humeur y régnait en apparence selon Zö, il y avait toujours les mêmes problèmes. Les problèmes sanitaires entre autre, les maladies qui n'étaient pas rare, les difficultés à se nourrir, et tous les habitants n'étaient pas aussi bon qu'il aurait voulu me l'affirmer. Au moins il était honnête. Il était sortit avec sa petite fille pour aller cueillir des plantes. Herboriste, il confectionnait des potions et des baumes capables de soulager certains maux et c'était ainsi qu'il se rendait utile à sa communauté.
Quand nous étions suffisant proche, j'entendais un chant s'élever au-delà du crépuscule qui venait. Un chant magnifique, remplit de joie et d'une je ne savais quelle "humanité". Il me réchauffait le cœur au point quand j'en étais surprit et Zö qui le remarquait en souriait. Jill courrait vers l'entrée sans nous attendre pour rejoindre un groupe d'enfant qui devait certainement être son groupe d'ami. L'entrée était gardée par deux hommes en armes, montés sur un cheval. Ils ne nous arrêtèrent pas, en fait, ils ne nous dirent rien du tout, pas même un bonjour, mais je devinais à cela que le camp s'était fait une petite milice. Le maintien de l'ordre uniquement ? Ou leur protection ? Je l'ignorais, mais je savais que ces gardes n'étaient certainement pas des soldats confirmés. Je voyais déjà la fumée d'un grand feu passer par-dessus les tentes que je découvrais en entrant dans le camp. La vérité était que c'était précaire. Poussière, boue et saleté étaient clairement le lot quotidien de ces gens. Je savais qu'il n'y aurait pas de sanitaires par exemple et je n'osais imaginer jusqu'où les conditions de vies pouvaient être difficile pour eux. Malgré tout, le chant que j'entendais disait exactement le contraire. Ils étaient nombreux à chanter oui, et c'est vers ce chant que mon conduisait Zö. Selon lui, je rencontrerai là la personne que je cherchais...
À une trentaine de mètres de là. Un grand feu avait été fait, comme m'avait-on dit chaque soir peu avant le couché du soleil. On trouvait autour de celui-ci une bonne centaine de personnes, dont beaucoup chantaient, ce qui expliquait l'harmonie qu'inspirait ce chant à l'unisson. C'était là que m'attendait celle qu'on me présenterait en tant que Lucy, très respectueusement surnommée "La princesse des putains"... Selon Zö, elle s'amusait de ce surnom et il était mérité de son propre aveu. La jeune femme, pas plus de trente ans, était en effet avec un groupe de filles sous sa garde et sa protection, la pourvoyeuse de plaisir du camp. En d'autres endroits, cela aurait porté à jugement et moult réprimandes moralisatrices, mais ici cela paraissait normal. C'était une curieuse ambiance dans laquelle je me trouvais maintenant. J'arrivais dans une ambiance de fête, où petits et vieux chantaient et dansaient comme pour louer je ne savais quelle récompense. La nourriture et la boisson étaient distribuées sans que l'on demanda à qui que ce soit de payer. Je ne savais pas d'où cela venait et je n'osais le demander, mais quand j'arrivais et que Zö me présentait, tous, et je dis bien tous, avaient le sourire et la joie de vivre sur le visage. En d'autres temps, j'aurai dit que c'était "un peu trop". Mais vu leur situation, et mon ressentit, je me disais qu'il s'agissait plus d'un moyen d'évacuer tout le malheur auquel devait faire face cette population. C'est là que je la rencontrais, Lucy. Elle était assise à même la terre, les joues dans les mains avec le regard porté vers les gens qui dansaient et chantaient. Elle me fit un certain effet je ne le cache pas, mais réservé de nature, quand on me présentait, c'était à la voix basse et au regard fuyant que je lui répondais. Elle avait l'air de s'en amuser, mais je ne m'en offensais pas.
-Le Blanc ? Un Sombre ! Je suis enchantée ! Bienvenue à la cité de la joie.
-Merci beaucoup...
-Tu as faim ? Nous avons du sake aussi si tu veux.
-C'est que je ne veux pas abuser.
-Ha ha ha, c'est moi qui te propose, ce serait mal élevé de refuser. Viens t'asseoir.
Je défaisais ma faux, et la posais sur le sol pour pouvoir m'installer à côté d'elle. Elle n'était pas dupe, et je le savais, si Zö m'avait amené vers elle ce n'était pas sans raison. Mais le sujet était bien délicat à aborder et je n'osais pas. Elle ne le faisait pas non plus, au contraire, elle agissait tout autrement, elle ne me donnait pas l'impression d'être un client en fait. Plutôt un invité avec qui faire connaissance.
-Tu viens d'où ?
-Tu veux dire où je suis né ? Ou d'où j'arrive ?
-Les deux pourquoi pas.
-Je suis né dans les terres Sombres. Mais je viens de l'est, d'Aden.
-Tu es un mercenaire ?
-De temps à autre. Répondais-je gêné.
-Tu te bats pour qui ?
-Pour celui qui paye... Lui disais-je en détournant le regard.
-Tu ne gagneras pas d'argent ici tu sais. Me rétorquait-elle amusée.
-Je viens plutôt dépenser celui que j'ai déjà. Lui répondais-je tout aussi amusé.
-Tu comptes rester longtemps ?
-Je ne sais pas. Le temps que ça dure.
-C'est beau n'est-ce pas. Continuait-elle en regardant tous ces gens transpirer de bonne humeur.
-J'ai pas l'habitude de voir ça, mais c'est vrai que c'est beau. Pourquoi ils sont si joyeux ?
-Le bonheur commence par le sourire, pas l'inverse. Ici il n'y a que des parias. Soit que leurs maisons sont brûlées par la guerre, soit qu'ils sont au district des malades parce qu'ils ont la lèpre ou la syphilis ou autre chose. Soit ils fuient quelque chose qui ne les concerne qu'eux. C'est pas très beau ici, on le sait tous, mais au moins personne ne cherche à manger personne.
Je tenais mon gobelet de sake entre les deux mains sans ne savoir que dire. Alors je buvais une gorgée et m'efforçais de sourire. Elle ne me regardait pas, elle regardait le vague, veillant sur ce que je pensais être "ses filles". Le regard qu'elle leur portait était plus celui d'une mère qu'une maquerelle, et je trouvais cela tendre. Ainsi, me suis-je dis, que je resterai bien quelques temps ici, parce que le semeur de mort que j'étais ici, n'aurait pas, à semer, la mort...
Zö m'avait laissé là pour aller avec les siens, et Jill s'amusait avec des enfants bien loin de là. Je voyais déjà la nuit tomber, mais le feu nous réchauffait et nous éclairait. Manieur de sortilège, je trouvais cela d'autant plus beau. Et les chants continuaient, jusqu'à ce que Lucy se dressa. Elle me tendit la main après s'être placée face à moi, sans un mot. Je posais le gobelet, et saisissais sa main de la mienne en ramassant ma faux de l'autre. Une fois que je me trouvais debout, elle me dit simplement.
-Viens. Me murmurait-elle avec un sourire.
Et je la suivais.
La tente où je passais une agréable nuit était bien tenue. Et quoi que je n'étais pas dupe sur les modalités d'une relation tarifiées, Lucy savait mettre à l'aise et donner au moins l'impression qu'elle n'avait pas trouvé cela aussi désagréable que cela pourrait l'être. Sa tente était l'une des plus grandes, car il y vivait non seulement elle, mais quatre autres jeunes filles, toutes du même "métier".
Au beau matin, nus sur le lit de fortune, nous fumions une cigarette en sirotant un thé qu'elle m'avait servit. Pour peu que l'on ne se trouva pas dans un camp de réfugié, on aurait pensé qu'elle ne manquait de rien. Nous prenions ainsi le temps de discuter un peu, avant que je cherche un autre endroit ou dormir cette nuit, je n'allais pas après tout rester éternellement sur le lit avec elle, même si sa compagnie était apaisante. Elle me parlait avec naturel, et sentait une odeur de sainteté malgré son métier, chose qui me séduisait beaucoup. Suffisamment pour que nous ayons une vraie conversation qui allait au-delà du beau temps et de la pluie.
-Tu comptes rester toute nue toute la journée ? Lui disais-je comme une taquinerie.
-La robe est plus longue à mettre qu'à enlever, et pour ça on ne s'aide jamais tu as remarqué ? On se déshabille mutuellement, mais jamais on se rhabille.
-C'est moins amusant sans doute.
-Tu sais où tu vas dormir ce soir ?
-Zö m'avait proposé le gîte hier, j'irais à sa tente et après je verrais.
-Tu peux revenir quand tu veux.
-Ma bourse n'est pas éternelle... Sans mauvais jeu de mot. Ce qui la fit tout de même sourire.
-Tu repartiras à la guerre quand tu te seras assez reposé... On dit qu'elle approche de la fin.
-Après une guerre il en vient toujours une autre. Mon métier ne connaît pas la crise.
-Pourquoi tu as choisit ce métier ?
-Je n'ai rien choisit, je suis né et voilà ce que je suis.
-À ce compte-là moi aussi.
-Il faudra bien que nous prenions une retraite un jour...
-Hey ! J'ai encore de belles années devant moi tu sais.
-C'est certain ça, répondais-je amusé.
Les putains de mon point de vue n'avaient que rarement le respect qui leur était dû. Les soldats en étaient des clients friands car rare étaient les femmes prête à construire une vie avec des hommes toujours loin de leur foyer sans jamais l'assurance d'y revenir. De même, elles soignaient les maux du cœurs de ceux plongés dans la solitude et l’effroi, ou encore trop laid pour avoir connu de gré la volupté d'une caresse féminine. L'affection est un besoin vital même s'il ne fut jamais classé ainsi dans la pyramide de Maslow. Pourtant, la majorité de ceux qui fréquentaient les prostitués en avait honte, comme s'il s'agissait d'un aveu de faiblesse, de ne pas obtenir l'amour et la sexualité sans avoir à débourser. J'aurai aimé que l'on me dise un jour dans quel couple l'homme n'aura pas eut débourser le moindre sous, mais enfin, les vertus et la morale possèdent des nuances qui échappent parfois à toute logique.
Elle ne comprenait pas je crois que les guerriers naissaient guerriers. Nous n'avions pas le choix de notre vie. Naître avec des pouvoirs destructeurs conduit à détruire, sinon du moins les clans dans lesquels les enfants naissent s'emploient à ce que cela se passe ainsi. Le prestige dans la puissance de détruire, de la force individuelle, comme ce que le caractère animal et primitif n'aura pu se résoudre à se détacher de l'humanité que les hommes cherchent tristement à atteindre... Lucy qui couchait sans cause, me paraissait en fait avoir plus de noblesse que ceux qui massacraient au nom d'un idéal.
Nous entendîmes un moment la voix de Zö à travers le tissu de la tente. Il appelait Lucy et son timbre semblait inquiet. Elle se levait et comme d'instinct je l'aidais à s'habiller. Nous venions d'en parler et je pouvais ainsi lui donner tort. "J'arrive" lui disait-elle et le pauvre devait attendre. Je restais quand elle fut prête toujours nu sur le lit. Zö lui annonçait l'arrivée de deux chevaliers de la résistance qui avaient quelque peu forcé le passage. Moi je me demandais pourquoi cela la concernait elle d'abord... Mais en sachant que deux soldats arrivaient je décidais de m'habiller à mon tour. Ramenant l'armure à mon corps, je n'omettais pas de remettre aussi le casque sur mon visage. Je me saisissais de la faux et je sortais rejoindre Lucy et Zö.
-Les Gardes ont pas osé leur refuser le passage apparemment, s'écriait Zö.
-Rien d'étonnant, porter une armure et des armes ne fait pas de vous un guerrier, intervenais-je.
Lucy tournait le regard sur moi et je vis en son œil que dans cette tenue elle m'appréciait différemment. Peut-être prenait-elle un peu plus conscience de ce que j'étais. Ce n'était pas le sujet toutefois.
-Ils ont dit pourquoi ils venaient ? Demandais-je à Zö.
-Simplement se détendre il parait, me répondit-il.
-En quoi c'est un problème alors ? Demandait Lucy.
-Tu es la sœur du Roi Lépreux, en son absence c'est à toi de les accueillir.
La sœur du Roi Lépreux. Ainsi j'apprenais que le chef du camp était absent et qu'en plus celle qu'on surnommait la princesse des putains était tout bêtement sa sœur. Là, je voyais sortir de la tente derrière nous une fille blonde, qui tirait par la main une autre que je n'avais pas encore vu, toute bandée de la tête aux pieds et qui paraissait simplette, puisqu'elle ne parlait pas, elle ne poussait que des petits cris et des petits gémissements. Cela m'interloquait mais je n'avais pas le temps de m'attarder là-dessus.
-Lucy, si tu veux je peux t'accompagner. Ce n'est sans doute rien.
-La faux à la main ? Demandait avec étonnement Zö.
-Les mercenaires ont leur propres manières, lui répondais-je.
La petite blonde nous coupait, en s'adressant à Lucy. "J'emmène Hélène au dépôt" lui dit-elle. Et Lucy ne fit qu'un hochement de tête avant de se retourner vers moi.
-Pas de grabuge s'il te plait. Me dit-elle.
-S'ils n'ont pas d'intention belliqueuse il n'y en aura pas. Vous m'avez accueillit, je suppose que vous pourrez en faire autant pour eux.
-Eux sont clairement de la rébellion. On veut pas que l'Empire nous tombe dessus.
À cela je n'avais rien à répondre. Et fort heureusement Lucy qui partait me permettait d'éviter d'avoir à le faire. Nous nous dirigions donc vers l'entrée où les deux soldats en question étaient arrivés. Sur le chemin, je ne pouvais m'empêcher de lui poser cependant au moins une question.
-Il est où ton frère ?
-Parti avec une troupe chercher notre ravitaillement. Il négocie je ne sais comment avec je ne sais qui pour que ne manquions de rien ou presque.
-Vous manquez de médicament surtout je crois.
-Si encore nous avions des médecins pour savoir les utiliser...
Nous tombions là-bas sur deux soldats en effet. Je reconnaissais le clan Sasanaide au premier coup d’œil, moi qui fut élevé ici près de la cité Orientale par des Sombres. Le deuxième je ne supposais rien car je ne remarquais pas de signe distinctif. Je ne faisais pour le moment office que d'escorte à Lucy, qui était celle à qui revenait d’accueillir ces deux personnes. Sous mon casque, je ne disais rien pour le moment. Je me contentais de veiller.
-Bonjour à vous ! S'annonçait-elle pleine de joie et d'entrain. Vous avez forcé le passage parait-il, ça a fait paniquer pas mal de gens ici. Vous comprenez que les soldats ne sont pas forcément bien vus dans un camp de réfugié. Mais s'il est vrai que vous ne venez pas causer de problèmes, vous êtes les bienvenus à la cité de la joie. Je suis Lucy, et disons que je gère ce que je peux en l'absence de mon frère à qui appartient ce camp.
-La résistance n'a-t-elle pas son propre camp ? Intervenais-je alors. J'usais d'un aimable ton, mais je n'oubliais pas, non plutôt malgré moi, il y avait déjà un brin de défiance dans cette question. En effet, il me paraissait curieux que des hommes dont l'allégeance était revendiquée eurent besoin d'aller se reposer dans un camp de réfugié.
-C'est un fort joli nom en tout cas, je m'appelle Sasanaide Kumiko, enchantée de vous connaître hmm … Lucy. La rébellion a même plusieurs camps, mais à qui avons-nous à faire ? Vous ne semblez pas être aussi dans le besoin que ces personnes, hm. D'autant plus que la rébellion se bat de toutes ses forces pour que les populations vivent libres. Quelque part, nous sommes dans le même camp face aux Graciens. Nous répondait la Sasanaide.
-Et puis, il n’y a rien d’autre que ce camps à des kilomètres à la ronde, un peu de repos avant de reprendre la route serait salvateur. Mais excusez moi ma curiosité, vous dîtes que ce camp appartient à votre frère, c’est une façon de dire qu’il est le chef ou il est à l’origine de la création de camp ? Ça n’a pas dû être facile d’organiser tout cela avec le peu de moyen que vous devez avoir, surtout que les Graciens et les Adeniens sont bien trop préoccupés par la guerre pour vous aider vraiment. Ajoutait le soldat qui accompagnait la Sasanaide après un "bonjour à vous".
Je tournais mon regard vers Lucy, je ne pressentais pas d'animosité de leur part, au point que je laissais tomber mon casque tomber pour dévoiler mon visage d'ange aux yeux bleus, dont l'innocence loin de paraître usurpée figurait être un fardeau plus lourd à porter que la faux que je rangeais dans le dos. Lucy ne perdait pas sa jovialité et s'efforçait d'accueillir ces deux guerriers avec la dignité dû à tout être humain, sinon à des Sombres. Ils posaient des questions qui selon moi ne les regardait pas, mais il ne me revenait pas non plus de juger de cela et Lucy était la seule à pouvoir en définir l'importance. Toutefois, avant qu'elle ne réponde, je me permettais une remarque gratuite certes, mais dont je ne négligeais pas l'importance. Ce n'était pas que je me renfrognais à leur vis à vis, c'était que je souhaitais rappeler à une réalité des guerriers qui se pensaient légitimes comme tout ceux qui défendaient une cause.
-Un idéal en réduit toujours un autre en cendre.
Le ton était doux, fataliste, tandis que je fixais surtout la jeune Sombre rousse qui avait évoqué son gout de la liberté et son combat pour celle-ci. "Liberté liberté, que de crime on commît en ton nom", me disais-je cette fois à moi-même en pensée. Je n'avais de haine pour aucun des deux belligérants pour ma part. Je savais qu'une fois cette guerre terminée, les hommes trouveraient bien une autre raison de verser du sang. Je n'étais pas pourtant le genre à donner des leçons de morale, toutefois leur réaction à cela m'en dirait bien long sur leur personnalité. Lucy, ne les laissait pas me répondre tout de suite, sans doute voulait-elle "améliorer" l'ambiance avant. Je savais pourtant, ayant converser avec elle, que de dire que les réfugiés étaient dans le même camp que les Adeniens ne passerait pas. Même si elle ne le ferait sans doute pas remarquer pour ne pas ajouter de la tension là où ce serait inutile, je trouvais cela tout aussi gros pour ma part. Ici, les réfugiés n'avaient pas de camp, et de fait, il ne fallait pas se leurrer, le laboureur exploité par l'Empire, serait exploité ensuite par le Gracien. Pour lui cela ne changerait rien, si ce n'est qu'entre temps, il aura eut sa demeure à reconstruire et son champ a replanter.
-Vous serez accueillit et vous pourrez vous reposer. Du moment que vous vous montrez assez discret pour ne pas attirer les soldats Graciens ou Adeniens ici. Vous avez dû le remarquer, ce n'est pas notre petite milice qui saurait arrêter des hommes entraînés et déterminés. Mon frère est effectivement le créateur de ce camp, et il en est devenu plus le protecteur que le chef pour être honnête avec vous. Mais il n'est pas là pour le moment, il sera revenu dans quelques jours au plus tard. Hô, et voici le Blanc, que nous avons accueillit également hier.
Redressant le regard tant vers eux que Lucy, je n'oubliais pas avoir précisé que je me battais pour celui qui payait quand elle m'avait posé la question. Aussi avais-je combattu pour les deux camps. Chose qui n'était pas certaine de passer. Je ne comptais toutefois pas stopper Lucy si elle leur en faisait part. Je préférais de loin l'honnêteté et ce n'était pas le lieu, j'espérai qu'ils le comprendraient, pour déclencher un combat entre soldats.
-Je ne sais pas où vous pourrez passer la nuit en revanche. Si vous trouvez quelqu'un pour vous héberger ce serait idéal. J'ai plusieurs tentes pour ma part où nous logeons avec mes filles. Mais les nuits y sont payante autant que le divertissement que n'y prodiguons. Concluait-elle.
Quelle jolie formule pour présenter un bordel improvisé me disais-je en moi-même sans pouvoir retenir un sourire. Comprendraient-ils la subtilité ? Ils étaient tous les deux très beaux et bien soignés, et la jeune Sasanaide ne paraissait pas faire de grande manière, pas puritaine au premier coup d’œil en tout cas. Mais cela ne me concernait pas. Je voyais une occasion de peut-être trouver du travail en les rejoignant quelques temps quand ils partiraient, mais avant cela, je voulais un peu mieux jauger qui ils étaient. Rebelles combattant pour la liberté, peut-être, mais un assassin demeure un assassin et tous les principes ne sont pas les mêmes pour qui joue tant de l'épée que de la magie.
-Je sais que les dernières batailles ont été éprouvantes pour les deux camps. Je suppose qu'ils voudront surtout manger et se reposer. Ce soir, au feu de camp à l'aurore des chants, ils verront bien de quoi faire des rencontres et feront leur choix tu ne penses pas ? Demandais-je à Lucy.
-Oui oui c'est sûr ! Me répondit-elle toujours la joie sur le visage.
En quoi cela me concernait après tout ? Moi qui n'était là que depuis hier... Je me surprenais moi-même à vouloir prendre soin de ces réfugiés, et Lucy fort heureusement ne semblait pas s'en offusquer. Elle ne me fit qu'un hochement de tête approbatif dont les deux soldats feraient ce qu'ils voudraient.
-Bien ! Je dois rejoindre deux de mes filles au dépôt. Je vous laisse entre militaires ! Terminait-elle avant de partir.
Quant à moi, maintenant seul avec eux deux, je ne savais pas vraiment quoi faire ou dire de plus. Alors je laissais le silence s'installer entre nous pendant quelques instants jusqu'à ce que je me décide à le rompre.
-Lucy n'en a pas parlé, mais ils ont pas mal de difficultés ici, surtout médicales et sanitaire. Si l'un de vous deux a des compétences médicales, je pense qu'aider les résidents de ce camp donnerait une meilleure image des Adeniens. Elle n'a rien dit, sans doute car ce n'est pas parce qu’on a plus rien qu'on a plus de fierté. Il ne me semble pas que le jeune homme ce soit présenter au fait.
La conversation et la rencontre durait et ne démarrait pas si mal que ça. En fait, je pressentais l'envie de s'intégrer chez ces soldats. Sans aller jusqu'à croire en leur complète innocence, ce qu'ils répondaient à Lucy me satisfaisait. La jeune Sombre allait même jusqu'à exprimer de l'entrain devant l'idée d'un feu de joie et quoi que ce son compagnon y semblait moins emporté, il ne paraissait pas trouver cela désagréable pour autant. Aussi me disais-je que même s'ils étaient présent pour une autre raison que le repos, ils ne chercheraient pas au moins à causer du trouble. Était-ce ce camp que je protégeais alors ? Ou ma propre quiétude ? Si l'on lisait en ce moment le récit de ma vie, la question serait légitime, et j'y répondrais sans doute que quelque soit la réponse, le résultat serait finalement le même. Alors à quoi bon s'en soucier, si moi, le premier concerné, je ne m'en souciais pas,... Ou pas.
-Vous êtes là depuis longtemps ? Vous prenez à cœur la vie de ces gens à moins que ce ne soit qu'elle ? Me demandait pleine de jovialité Kumiko.
Et je me demandais si elle avait écoutée la conversation. Lucy avait dit que je n'étais présent que depuis hier pourtant, mais l'information avait dû lui échapper. J'en souriais en réalité, autant devant son énergie débordante que de son étourderie. Elle avait rit quand j'évoquais les idéaux cendrés et riait encore de presque tout. Chacune de ses paroles respiraient, et inspiraient même, un goût de la joie. Cette jeune femme qui avait plus d'un tour dans son sac aux vus des tatouages qu'elle avait sur le corps, semblait être aussi bienveillante que Lucy. Bien sûr, cela me ravissait, et quoi que je n'étais pas démonstratif à son point, le regard que je posais sur elle se fit aussi tendre que doux et le sourire que je lui portais se faisait témoin de l'estime grandissante que j'avais d'elle. La réserve ne tombait pas pour autant, mais, on ne se refait pas... Je n'avais pas le temps de répondre que son comparse intervenait lui aussi, tant pour se présenter que pour me désillusionner quant à leurs compétences médicales.
-Vous avez raison, je m’en excuse, je m’appelle Fugand. Avec ce qu’il s’est passé, j’avais un peu la tête ailleurs. Et personnellement, je n’ai aucune compétence médicale. Je pourrais à la limite aider à faire certains diagnostics, j’ai une bonne connaissance des maladies, mais pour ce qui est du soin, je ne peux rien faire pour vous malheureusement. Ajoutait donc Fugand.
Cela me fit perdre un instant mon sourire, il aurait été trop beau que le hasard nous mena des soldats médecins de toute façon. Connaissant le sens de l'humour noir dont était capable les Dieux, cela ne m'étonnait finalement guère. Il était inutile alors de chercher à imposer une aide de leur part à ces résidents. Ils ne les connaissaient pas plus que moi, et hors de l'occasion qui aurait pu se présenter sous leurs talents, ni eux ni moi, n'étions responsables de ces gens-là. Je convenais pour ma part qu'il faille seulement me conduire en bon invité, à la hauteur de la délicatesse de mes hôtes.
Il s'agissait maintenant de répondre, surtout à Kumiko puisque son compagnon ne posait pas tellement de question. Je baissais un peu la tête timidement, non pas que j'avais honte de ce que j'allais annoncer, mais que parler de moi déclenchait toujours un certain malaise en moi et ce malgré mes efforts pour le contrôler. Moi ? Le sujet qui m'ennuyait le plus. Mais c'était en se montrant honnête avec autrui, qu'on lui donnait le plus de gage de sa bienveillance autant que de sa confiance. Un risque certes, mais je me figurais ne pas risquer le combat, juste, au plus grave, une réticence à mon égard.
-Je ne suis arrivé qu'hier comme Lucy l'a dit. Avant cela, je combattais pour les Adeniens, et avant cela encore, pour Gracia, et avant cela encore... Pour un autre. Je marquais un temps d'arrêt et relevais une œillade désolée et compatissante. Prise de pitié à leur égard ? Bien sûr que non, cela ne serait pas respectueux et ne serait pas mérité. C'était plutôt que je sentais mes principes probablement obsolètes à leurs yeux, ce qui, par avance, développait un sentiment de solitude en moi dont j'étais maintenant coutumier. Ma voix fort heureusement n'était pas celle d'un dépressif enclin au fatalisme le plus complet. Simplement celle d'un homme profondément doux, qui était convaincu de sa propre philosophie.
-Je tente de laisser du bon là où je passe, d'autant plus quand j'y suis bien accueillit comme ici, peu importe devant qui je tombe. Continuais-je. Je suis peut-être un meurtrier à vendre maintenant à vos yeux, mais je n'ai jamais fait de ce métier un plaisir je puis vous l'assurer. Mon ennemi sur un champ de bataille ne l'est que le temps de la bataille. Par habitude j'ai vu que d'un côté ou de l'autre, c'est toujours la même histoire, les deux camps se disent les plus justes, il n y'a de guerre que lorsque deux partis se disent légitimes.
je n'avais pas plus développé que cela mes sentiments et mes égards. Ce fut déjà bien assez suffisant pour risquer de me faire haïr s'ils fussent fanatiques. Et d'ailleurs rien ne disait que tout cela les intéressait au final. J'en venais donc à un tout autre sujet avant de leur laisser le temps de répondre.
-Je crains hélas que nos compétences réunis ne suffisent pas. C'est grand dommage pour eux, mais ils ne sont pas de notre responsabilité. Quoi qu'indéniablement, vous et moi avons contribué à conduire ces gens ici.
Un reproche ? Non, un fait, un fait que nous devions porter sur les épaules selon moi, et le porter le plus dignement possible. Eux comme moi, n'avaient sans doute pas choisit leur condition plus que les gens résidents dans ce camp. Nul innocence pour qui que ce fut en ce bas monde, ainsi juger de la responsabilité des malheurs était bien peu sage pour qui que ce fut. Je pointais alors le centre du camp, où je savais de Lucy, qu'ils pourraient y trouver le dépôt s'ils avaient des objets à chercher.
-Là-bas se trouve une sorte de magasin si vous cherchez quoi que ce soit. J'ai aussi ouï dire qu'il restait un peu de place à l'est du camp s'il vous en fallait. Sachez que je ne suis personne ici cependant. Etant soldat, et craignant que la milice soit dépassée par les talents que nous connaissons, je voulais seulement m'assurer que mon propre repos ne serait pas troublé. J'ai eu je crois une réponse favorable, finissais-je avec un amical sourire.
Un petit mensonge à moi-même peut-être, car effectivement, la nuance des sentiments que je vouais à ce camp était bien plus complexe.
-Je compte de toute façon m'y rendre, si vous voulez m'y accompagner ?